21h. David rajusta une dernière fois son veston noir, s’assura que ce dernier cachait suffisamment les armes qu’il portait dans son dos, et sortit de chez lui. Il salua sa voisine, Mrs Grams, une dame charmante, qui balayait le perron de sa grande maison blanche. Puis il ouvrit sa porte de garage et s’engouffra dans sa Packard noire.

David Gray n’était pas homme à conduire imprudemment. Bien sûr, lorsque des courses poursuites s’imposaient, il n’était pas le dernier à outrepasser les règles, mais dans la vie de tous les jours, sa courtoisie au volant était exemplaire. Un vrai gentleman. Après avoir parcouru pendant quelques minutes les rues de Philadelphie, il se gara à une distance raisonnable de sa prochaine cible et sortit de son véhicule.

Ernest Fairnot devait sans doute être chez lui, à cette heure-ci. David passa la grille entrouverte du jardin, monta les quelques marches grises du perron et frappa à la porte. David savait qu’il n’avait pas besoin de commettre une infraction pour entrer. Ernest était un homme impulsif et égocentrique, ce qui expliquait sa récente trahison auprès du gang Hefferman. David n’appréciait guère les ruptures de contrat aussi vicieuse pour des raisons monétaires. Il savait que c’était d’usage, bien sûr, cela faisait partie du jeu, mais c’était une des raisons pour laquelle il avait toujours gardé son indépendance par rapport à ces rivalités de clans. Aussi, quand cette jeune femme, Amanda, l’avait contacté pour effectuer ce petit nettoyage, il avait accepté sans trop d’hésitation. L’avantage des traitres, c’était que plus personne ne voulait d’eux. Même s’il le tuait, la famille Pavoni s’en soucierait peu. Et, de toute façon, il était respecté par les deux groupes qui tenaient la ville. Il était de notoriété publique que David Gray était un terrain neutre.

Ernest ouvrit la porte, puis se figea en découvrant qui se tenait devant son seuil. Pâlissant, il n’osa pas refermer. Peut-être aurait-il dû. Peut-être aurait-il vécu une ou deux minutes de plus.

- Bonjour, Mr Fairnot.
- …Bonjour… Je peux vous être utile ? demanda-t-il, espérant sans doute que la raison de la venue du tueur ne soit pas sa vie-même.

- Il semblerait.

David s’avança d’un pas, Ernest recula, tenta de refermer la porte, mais le tueur la bloqua du pied. Avançant d’un autre pas, calmement, il entra dans le domicile, puis se retourna et referma la porte avec flegme. Ernest recula encore, puis, pris de panique, se saisit d’une lampe de chevet (à défaut de son flingue resté sur sa table) et voulut assommer son futur agresseur. David se retourna vivement en entendant ce chahut, saisit au vol la main armée et effectua un parfait chassé qui mit au sol le traitre. Ce dernier tenta de se relever, mais se stoppa net en voyant un canon de métal pointé sur son front, à deux centimètres de son visage. Accroupi devant lui, David lui demanda :

- Vous avez les salutations d’Amanda. Un dernier mot ?
- Combien vous a-t-elle donné ? Je peux vous…

Il fut interrompu par une violente déflagration, accompagnée du craquement des os d’une boîte crânienne qui se brise et du chuintement spongieux d’une cervelle qui se désagrège. David se releva, impassible, épousseta sa veste, puis déclara :

- L’argent ne fait pas le bonheur, Monsieur Fairnot. Si c’était le cas, je serais l’homme le plus heureux du monde. Vous êtes mort pour une bête erreur de jugement et de cupidité.

Il se dirigea vers le salon, prit le téléphone de l’ancien résident, et composa le numéro des nettoyeurs. Puis il sortit de la maison, refermant avec soin la porte qui contenait désormais quelques éclaboussures, et retourna dans sa voiture. Dans moins d’une heure, le corps de Fairnot serait au fond du Delaware et ses murs seraient débarrassés de ses restes. Puis, les autorités viendraient constater une mystérieuse disparition dont la moitié des policiers comprendraient la cause et classeraient sans suite. Le coup de feu, même à une heure si tardive, n’avait pas provoqué de grand remue-ménage. Par ici, les gens savaient que la meilleure défense était le silence.

Il savait qu'il ne risquait pas grand chose avec Ernest. L'homme ne savait pas se battre, était lâche, un peu fruste, et ne représentait absolument aucune menace pour Gray. Une formalité, en somme.

David reprit la route, et arriva au point de rencontre avec sa cliente. Un bar miteux, sans grande classe, où la brume des cigarettes se mêlait à celle des esprits saturé d’alcool, en somme, un lieu où David ne mettait les pieds que pour les affaires. Il entra, et repéra facilement la jeune Amanda tant elle contrastait avec les autres convives. Aucun ne semblait faire attention à elle, pourtant, on lui jetait de temps en temps des regards. On savait qui elle était. Et c’est pourquoi on ne l’approchait pas. Dans ce genre de quartier, cependant, si le nom de David Gray était connu, peu savaient l’associer à un visage. Gray était pour beaucoup une légende, une ombre planante, comme le monstre sous le lit des enfants turbulents. C’est pourquoi il reçut beaucoup plus de regards méfiants, de visages fermés, auxquels il ne fit pas attention. Il alla s’assoir à côté de la jolie blonde, commanda un bourbon, puis se tourna vers elle.

- Miss Hefferman, la salua-t-il. Vous semblez aller à merveille, ce soir.

Il remercia le barman en prenant son verre, puis reprit.

- Vous devriez lire une bonne nouvelle dans les journaux d’ici quelques jours. Peut-être même demain.